#10 GLITCH - Arts Plastiques / Académie de Normandie

#10 GLITCH

, par Mael Judic

*|MC:SUBJECT|*

#10 GLITCH

Pôle de compétences numériques arts plastiques
Académie de Normandie
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MIGUEL CHEVALIER / CORPS

Miguel Chevalier a vu très tôt, dans les années 80, les potentiels de l’art numérique et l’a très vite considéré comme un nouvel art pictural. Toutefois, à l’opposé de la peinture qui est statique, le numérique, pour lui, permet l’interactivité et il aime voir ses œuvres être modifiées par les déplacements du spectateur. Grâce aux algorithmes et aux mouvements imprévisibles de celui-ci, l’œuvre est toujours différente comme renouvelée.

Dans « Onde Pixel » réalisée et installée en 2016 au uniCredit pavillon à Milan en Italie, l’artiste propose une grande installation générative et interactive. Le déplacement du corps va fractionner différents « tableaux » qui étaient initialement raccordés et qui formaient un tapis de pixels de différents motifs. Le mouvement va ainsi créer des ondulations apportant une nouvelle profondeur se rapprochant des illusions optiques telles que l’on peut en voir dans les œuvres de Vasarely par exemple. Des écrans placés à la vertical permettent de renforcer l’immersion du spectateur en accentuant les effets de mouvement. Le son et la lumière colorée complètent l’œuvre dans la transformation de l’espace et donc de sa perception. Le corps du spectateur est à la fois émetteur (celui qui agit sur l’œuvre) et récepteur (celui qui ressent les effets de l’oeuvre par son mouvement).

MIGUEL CHEVALIER / ESPACE

1/ espace littéral : qualités matérielles du support

Les œuvres de Miguel Chevalier s’inscrivent dans des supports de différentes natures et questionnent leurs espaces littéraux: écrans LCD 75 simples, ou installés en réseau, tirages numériques ou holographiques sur Plexiglas ou inox, projections monumentales sur une surface au mur, au sol, ou immersive, traduction en volumes. Les natures différentes de ces supports offrent une matérialité variée, allant de l’impression 3D aux espaces virtuels, pixelisés, numériques. Images fixes ou animées, génératives, elles circonscrivent un espace spécifique qui les encadre, les permet et les contient : format «classique» du cadre photographie, du socle et de la vitrine d’exposition, renouvelé de l’espace mouvant de l’écran. Chez lui, temps et espace sont intrinsèquement liés, auquel on ajoute l’espace sonore qui souvent accompagne les œuvres.

2/ espace de représentation : espace suggéré

A l’univers a-topique (sans lieu fixe, sans ancrage réel ou matériel) qui caractérise le travail de M.Chevalier et notamment Paradis artificiel, 2004, s’associe l’espace virtuel multidimensionnel, et la question d’un temps «uchronique», « un temps hors du temps, ce temps virtuel où les événements cèdent la place aux éventualités», selon E.Couchot, théoricien des arts numériques. Aux herbiers imaginaires, sous leurs différentes déclinaisons, se double les projections mentales et l’immersion visuelle ou matérielle du spectateur, qui amplifie l’espace ainsi suggéré. Les installations au sol, interactives selon les déplacements des spectateurs déterminent un nouveau paradigme de l’espace suggéré. L’espace suggéré est aussi celui de la mémoire et de la trace: la qualité générative des œuvres est nourrie de leur passé et des références collectives, botaniques et de modalités (les herbiers, les pages que l’on tourne, les séries photographiques d’un Karl Blossfeldt).

MIGUEL CHEVALIER / MATÉRIALITÉ
Miguel Chevalier, Pixels Noirs Lumière, 2019, Exposition personnelle dans le cadre du Siècle Soulages, Musée Soulages, Rodez, France
Commissaire : Christophe Hazemann, directeur adjoint du musée Soulages

Le travail de Miguel Chevalier aborde la question de l’immatérialité dans l’art ainsi que les logiques induites par l'usage de l'outil numérique, telles que l’hybridation, la générativité, l’interactivité. Dans un dialogue constant avec la peinture, il explore et expérimente un nouveau langage pictural où le pixel devient l'équivalent de la touche picturale. 

Son exposition personnelle au musée Soulages s'ouvre sur une série de sept impressions numériques noir et blanc jouant sur des variations de mat et de brillant. Ces œuvres rendent hommage aux origines du numérique : le pixel, ici agrandi à l'extrême. Il compose ainsi des univers abstraits et très graphiques


À plusieurs moments de sa pratique artistique, Miguel Chevalier a essayé de rendre son art matériel. L'aspect financier a été un des facteurs premiers puisque son art immatériel n'avait pas de valeur. Les impressions de ses images numériques ont donc été ses premières tentatives de ressource financière.

Il essaya aussi de programmer des robots pour peindre ses images avec des bras robotisés dans la mouvance des artistes comme Harold Cohen (robot AARON construit dans les années 70).

En 2007-2008, la démocratisation des imprimantes 3D permet à Miguel Chevalier de matérialiser en volume ses graines virtuelles et d'en faire des sculptures.

MIGUEL CHEVALIER / OUTIL / INSTRUMENT / MÉDIUM

La relation entre le médium et le dispositif de création

L'Œuvre de Miguel Chevalier s'est construit au fil de l'évolution de la technologie.

Comme à chaque époque de démocratisation d’une technologie, les artistes s’approprient ces nouveaux médiums et explorent leur potentiel. La particularité de Miguel Chevalier est d'avoir très tôt travaillé avec le numérique (fin des années 70) sans jamais abandonner cet outil.

Depuis l’émergence de l’art contemporain au cours des années 1960, la relation entre le médium et l’œuvre va considérablement évoluer, qu’il soit numérique ou pas. Le médium n’est plus un simple vecteur de création. Il s’affirme aussi comme un vecteur de médiation à part entière. L’œuvre « ne se définit plus par son créateur unique, par son achèvement ou par l’attitude contemplative qu’elle suscite. Elle peut désormais être le produit d’un travail collectif, celui de l’artiste, du technicien, et du scénographe. Elle n’est plus pensée comme une création contemplée et passive, mais comme relation au spectateur. »1 L’œuvre numérique semble ainsi annoncer une remise en cause des modes de médiation.

Tel un cheminement, les œuvres numériques de Miguel Chevalier vont évoluer en fonction de la sophistication technique du medium. Ses créations passeront de l'image fixe pouvant être contemplative, aux images animées et aux dispositifs interactifs et immersifs en passant par la numérisation et l'impression 3D.

L'outil numérique (ou la technologie numérique) va permettre une grande diversité de dispositifs de création. Il permettra de :

  • transformer une image sans aucune limite (« image à la puissance image »2 = l'image est modifiable à l'infini et permet de multiples variations d'une même image),

  • faciliter l'activation de l’œuvre par le spectateur (interactivités créees par le biais d'interfaces diverses),

  • varier les supports et l'échelle des supports (grâce à l’apparition notamment des vidéoprojecteurs, des écrans LCD et des imprimantes 3D),

  • faire évoluer le rapport au spectateur (spectateur/acteur, spectateur/auteur),

  • créer des œuvres auto-génératives.

1MALKA, Lauren, L’art numérique: médiation et mises en exposition d’une esthétique communicationnelle [en ligne], 2005.

2COUCHOT, Edmont, Image puissance image, texte publié dans la Revue d'Esthétique, n°7, juin 1984, disponible à l’adresse suivante : http://archive.olats.org/livresetudes/etudes/couchot1984.php

 

Les œuvres numériques, qui obéissent à des instructions précises

L'image numérique à l'origine est programmatique. Elle est issue d'un programme, d'un code qui la génère et la fait évoluer. Miguel Chevalier a donc au départ commencé à être développeur et « à écrire seul des petits programmes»1 mais très vite il s'est rendu compte que la création de logiciel nécessitait des compétences techniques pointues et a donc collaboré avec des informaticiens comme Claude Micheli ou Cyrille Henry.

Dans sa pratique, Miguel Chevalier se compare désormais à un « réalisateur ou un metteur en scène qui travaille avec une petite équipe (...) donne l’orientation avec des éléments graphiques, des exemples et peu à peu ses idées permettent de créer au final le logiciel.»2. Par ses choix, l'artiste devient alors le médiateur et animateur d’interactions entre le public et ses œuvres ;et l'outil numérique devient instrument de médiations.

Chez Miguel Chevalier, les œuvres interactives apparaissent à la fin des années 80 avec l'émergence de la micro-informatique. Son premier dispositif artistique faisant participer le spectateur était basé sur une interface de type trackball. Lorsque le spectateur touchait l'interface, l'image se liquéfiait.

Dans l’œuvre « Fractal Flowers » (2008) ou « Extra-Natural » (2015), des capteurs détectent la présence du spectateur. Selon le déplacement de son corps à droite ou à gauche, le spectateur peut ainsi interagir avec le jardin virtuel. Pour Miguel Chevalier, cela enrichit l’œuvre et « d'un point de vue symbolique, l'interactivité montre l'impact de l'homme sur la nature. »3

La démarche artistique évolue en fonction des progrès des logiciels créés. Pour « Fractal Flowers », l'interactivité avec le spectateur est restée la même mais le nouveau logiciel permettait de réaliser des projections plus complexes. L'outil numérique devient un instrument d'exploration de nouveaux dispositifs. A chaque fois que Miguel Chevalier développe un nouveau logiciel cela « l'amène dans d'autres contrées ».

 

1CNC, article Miguel Chevalier : « Je suis comme un réalisateur qui travaille avec une petite équipe », 2018 [en ligne] à l'adresse suivante : https://www.cnc.fr/creation-numerique/actualites/miguel-chevalier---je-suis-comme-un-realisateur-qui-travaille-avec-une-petite-equipe_902880

2Ibid.

3Ibid.

Un film de Claude Mossessian © Claude Mossessian

Fractal Flowers 2013, Château de la Cité de Carcassonne, Exposition personnelle

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